Avec ce second album solo, Music That Make Civilisation Fun, Bigg Jus l’ex Company Flow semble bien décidé à remettre les pendules à l’heure et prouve qu’aujourd’hui encore il fait partie des artistes les plus novateurs et les plus influents du hip-hop indé.
Qu’aujourd’hui le nom de Bigg Jus ne sonne à nos oreilles qu’en qualité de parfait anonyme est un scandale. D’autant plus que le MC multiplie les projets démentiels depuis le split de son groupe culte Company Flow. C’est donc avec quelques semaines de retard qu’on se permet de revenir sur ce nouvel album porté par une magnifique pochette, sorti début Mai.
Cet opus à des airs de vengeance. Voilà des années maintenant qu’une vague d’artistes dans la scène alternative surfent sur une courant que Bigg Jus a contribué à créer, certains connaissant même un beau succès (on pense évidemment à Death Grips). Et premier constat, même face à ce nouveau cru de jeunes artistes talentueux, Bigg Jus ne vieillit pas et reste à la pointe d’un hip-hop hybride, électronique et industriel. L’ambiance de ce nouvel album laisse peu de place à la joie ou à l’oisiveté : ici, on est dans l’urgence, dans des morceaux courts mais percutants, des hymnes quasi militaires (Game Boy Predator). On pense souvent à Sole & The Skyrider Band, comme sur l’excellent morceau Empire Is A Bitch, mais les influences de Bigg Jus sont quasi sans limites. Aussi, c’est sans étonnement que l’on découvre le morceau Dubstep Redemption Sound Dub. Sans jamais éprouver le besoin de suivre les modes, le MC semble juste apprécier la difficulté ludique et stimulante de poser un flow sur une rythmique instable. Bigg Jus livre en effet une belle performance, rappant brillamment sur des instrus breakbeat saccadés, maltraitées et électroniques. A peine le temps de sortir la tête hors de l’eau pour les morceaux Hard Times For New Lovers ou Respective Of F1 Dub, on est de nouveau noyé par l’atmosphère oppressante des autres tracks, dont toutes les instrus ont par ailleurs été réalisées par lui-même sur Ableton. Malgré la foule d’influences et de sonorités se détache toutefois une ligne directrice ; ça sonne urbain, robotique et apocalyptique, ce qui se marie parfaitement avec le contenu des paroles.
Car outre la qualité de construction (ou déconstruction) des morceaux, c’est aussi et surtout les lyrics engagées et contestataires qui font la force du MC. Flirtant avec science-fiction et ésotérisme, Bigg Jus nous narre sa vision d’une société décadente, et livre une critique acerbe de la société. Le hip-hop engagé a-t-il toujours sa place dans une société post-Bush et post-11 Septembre, ces événements qui avaient tant marqué le rap du MC ? Oui, autant qu’avant, nous répond ce Music That Make Civilisation Fun. Parce que le mal qui gangrène les États-Unis est plus profond, et l’administration Obama, après avoir délivré un message d’espoir, à fini par révéler ses failles. Le monde dans lequel nous vivons nous échappe totalement, nous laissant orphelins pourris, gâtés de ce que nous avions eu à profusion toute notre vie et qui se désagrège lentement. Loin du rap game et de son commerce, le MC lâche un cri de détresse sincère et personnel sur le monde tel qu’il le ressent.
On sait que Bigg Jus n’est pas du genre à se reposer sur ses acquis mais plutôt à renouveler et développer continuellement sa musique. Alors rien d’étonnant d’apprendre que le rappeur à de nombreux projets en prévision, dont l’un avec le rappeur MF Doom (dont il a géré le label) ou encore une possible ré-formation de Company Flow avec son compère El-P qui vient également de sortir son nouvel album... On a hâte. - Jugger |