En 2005, à la sortie d’un “Poor People’s Day” accusateur, Bigg Jus - comme galvanisé par les évènements du 11 septembre 2001 - semblait trouver en la présidence de George W.Bush un puits sans fond d’inspiration. Sept ans plus tard sous l’ère Obama, les têtes ont changé, Company Flow a beau s’être récemment offert une éphémère résurrection, le Mc n’a toujours pas la langue dans sa poche et pointe encore du doigt ce qui le fait sortir de ses gonds: la disparité des richesses, les dessous des relations internationales et de la politique monétaire. Un engagement à tout crin qu’on retrouve sur “Machines That Make Civilization Fun”, un nouvel album rappelant à quel point le hip hop peut se montrer anticonformiste et novateur.
Bigg Jus a constamment deux choses en tête qu’il s’applique à marier en toute occasion: innover et réveiller les consciences endormies. Pour y parvenir, il a cette fois encore pris ces chemins de traverse qui ont toujours été les siens. Avec une détermination à toute épreuve et une tranquillité paradoxale, il pousse donc ici le plus loin possible une approche totalement atypique qui l’éloigne volontairement du grand, lisse et apolitique divertissement que le hip hop est aujourd’hui devenu. Celui dont il a bien pris soin d’esquiver toute nouveauté durant la longue période de gestation d’un album que le Company Flow a lui même produit en bon et frais autodidacte, à l’aide d’un équipement qui lui était jusque là inconnu.
Ici, point de paillettes ni d’entertainment, encore moins de formatage. A l’exception de quelques unes rendues inévitablement nébuleuses par leur complexité (les insaisissables “Empire Is a Bitch”, “Machines That Make Civilization Fun” et “Polymathmatics”, le convulsif “Hard Times For New Lovers”), les productions sont généralement massives et denses (”Game Boy Predator”), les samples aussi angulaires qu’une bâtisse allemande de la seconde guerre (”Black Roses”), le beat lourd (”Redemption Sound Dub”), l’ambiance oppressante (l’excellent “Samson Op-Ed”), presque guerrière (”Advanced Lightbody Activation”, “Food For Thought”). Et pour compléter le tableau, Bigg Jus use encore davantage de son flow changeant au débit fluctuant, de son vocabulaire toujours plus riche, comme de la phonétique du moindre de ses mots.
Fort d’une démarche cohérente sur le fond comme sur la forme, armé du ton on ne peut plus sérieux du prêcheur aussi convaincant que convaincu, Bigg Jus met donc tous les atouts de son côté pour sonner une nouvelle fois l’heure de la révolte. Seulement, contrairement à beaucoup de ses homologues qui résument leur engagement à la simple dénonciation, le Mc ne s’inspire pas uniquement des évènements mondiaux (Occupy Movement entre autres) pour élaborer son discours. Là aussi, il va plus loin, osant quelques solutions aussi radicales soient elles, prônant par exemple un soulèvement inévitable et spontané de la population à l’instar du Printemps Arabe vécu l’an passé. Parce que, quoi qu’il arrive, c’est toujours du sang chaud de jusqu’au boutiste qui coule dans les veines du révolutionnaire. - Mowno |